1/12/2014

« Espaces du paragraphe : précis de typographie », par Patrick Mouze

Les amis de l’Ardenne

À la lecture de ce titre un peu austère, certains pourraient croire que cet ouvrage s’adresse uniquement à des typographes chevronnés ou en herbe. Or, il n’en est rien. Il veut toucher tous les lecteurs, quitte à susciter des vocations ou non — d’autant plus qu’aujourd’hui, chacun est amené à se servir d’un clavier d’ordinateur dans son travail, ses loisirs ou sa correspondance…

Il faut convenir que, le plus souvent, on voit un texte, on le lit mais on ne le regarde ni le décrypte, à l’exception de quelques-uns qui s’y prêtent comme certains poèmes — l’exemple type et extrême étant Un coup de Dés jamais n’abolira le Hasard par Stéphane Mallarmé dont l’éditeur de ce précis est le seul à avoir réalisé l’édition définitive à paraître chez Ambroise Vollard.

Cyrus Highsmith commence par justifier le titre de son précis de typographie dans un cadre historique en allant à l’encontre d’une idée reçue : Gutenberg n’a pas inventé le livre, mais « a ouvert une nouvelle voie pour créer un paragraphe du texte […]. Par cette innovation, il a créé un nouvel espace, l’espace du glyphe qui forme la boîte autour de chaque lettre, il permet de les manier et de les agencer facilement. » L’art de la typographie sera donc d’agencer les espaces entre les lettres, les mots, les phrases, les lignes et les paragraphes avec le noir et le blanc pour parvenir à une lisibilité maximale en fonction de la grosseur des caractères en capitales ou en bas-de-casse, et en fonction de la forme plus ou moins large du paragraphe ; la composition jouera sur le tempo du texte pour parvenir à une harmonie des espacements. À partir de ces données, l’auteur inventorie par chapitres concis et clairs tous les « petits trucs » ou, si l’on préfère, toutes les manipulations possibles pour mener à bien cette opération, comme, par exemple, le crénage qui « sert à ajuster l’interlettre entre des paires données de lettres lorsque l’approche naturelle ne fonctionne pas. » Il va sans dire que ces manipulations peuvent convier à produire des effets de perversion du texte… même si l’élégance de la mise en page de ce précieux opuscule nous montre et démontre le contraire !

Grâce à une série de notions qui paraissent peu à peu évidentes, le lecteur apprend donc à regarder un texte écrit à travers la structure complexe du paragraphe d’où il doit ressortir une lecture fluide grâce à un bon équilibre : « Le typographe apprend autant à voir le texte qu’à le lire. De cette manière, ses yeux reconnaissent ce qui va et ce qui ne va pas. » Ouvrir l’œil éveille ainsi l’esprit du lecteur à passer la main — ou de l’autre côté du miroir — pour qu’il s’exerce, à son tour, à l’art de la typographie.