20/09/2010

« L’œuvre de José Mendoza, créateur de caractères », par Roger Chatelain

Revue Suisse de l’imprimerie

Voilà un ouvrage qui était attendu… Il est dû à Martin Majoor, créateur de caractères (auteur du Scala, notamment, en 1991), et à Sébastien Morlighem, diplômé d’Estienne (il enseigne depuis 1997 l’histoire du graphisme et de la typographique et occupe un poste à responsabilités à l’École d’art et de design d’Amiens. L’introduction est signée par Jan Middendorp, graphiste, professeur, historien du design et de la typographie.

Le « plus ancien créateur français de caractères » toujours en activité – José Mendoza y Almeida est né en 1926 – a ouvert les tiroirs de son atelier à Sèvres, en banlieue parisienne, extrayant dessins, esquisses et projets… voire d’admirables planches brossées en guise de vœux pour l’an nouveau. Ardent défenseur de la culture française, il est resté fidèle à la notion de « graphie latine » professée par Maximillien Vox qui, dès 1953, avait reconnu son talent et l’avait recommandé à Roger Excoffon. Ce dernier l’engagea à la Fonderie Olive. Comme premier assistant, Mendoza collaborera à la réalisation du Diane, du Calypso, du Nord, de l’Antique Olive… autant de polices qui ont marqué le paysage typographique français.

Ce qui frappe d’emblée l’observateur, dans le parcours professionnel de José Mendoza – créateurs typographique et graphique indépendant dès 1959 – c’est le parfum d’ambiguïté qui entoure ses réalisations en tant que concepteur de caractères. Ainsi, au point de vue, stylistique, sa première écriture, le Pascal, est difficilement classable. Dépourvue d’empattements, elle se démarque des linéales par la modulation du trait. « C’est un caractère alliant l’esprit elzévirien, la sobriété de l’Antique et la sensibilité de l’incise avec un souvenir permanent de l’inscription lapidaire latine », a écrit son concepteur. Pour situer le Photina (1972-1982), en deuxième position dans la liste, il avait renchéri : « Son esprit est classique… mais ce n’est ni une Didone, ni une Réale, ni une Garalde – ni même une Mécane. » De surcroît, se plaisant à brouiller les pistes, il inventa un « concept inédit » : la Mécalde, « fruit du mariage de la sobriété formelle des Mécanes et de la sensibilité humaniste des Garaldes »…

Au point de vue commercial aussi, un certain flou apparaît… Édité en 1961 par la Fonderie Amsterdam, le Pascale a été apprécié comme caractère de titrage et de publicité. Mais son italique n’a pas été publié. Conçu à l’ère de la photocomposition à l’enseigne de la Monotype, le Photina devait initialement offrir une palette étendue de chasses et de graisses. il n’en fut rien. Le Mendoza Script (un italique étroit avec arabesques) n’a pas été édité. Pour les Albums du Père Castor, Mendoza conçut un caractère imitant l’écriture manuscrite que les enfants tracent à l’école. « Flammarion avait un temps prévu une sortie commerciale » de cette police appelée Père Castor. Cela ne se fit pas. Autres avatars : le dessin d’une Égyptienne (1962), « surprenant croisement entre le Plantin et le Clarendon », ne vit pas le jour commercialement « pour des raisons inconnues » ; le Brennus (198/-1987), réalisé pour l’entreprise de photocomposition française Socotep et destiné à la Diatronic, ne fut proposé à la clientèle q’en romain…

Bref, on en oublierait de citer l’ITC Mendoza Roman, première création numérique du dessinateur, laquelle, en 1991, a renouvelé d’une manière ingénieuse les possibilités d’interprétations » du groupe des Humanes. Relativement peu connus en Suisse romande, lesdits caractères mériteraient de l’être. Ainsi en est-il du Pascal, très proche du bien connu Optima d’Hermann Zapf… Les deux « ont été comparés de nombreuses fois, mais il ne fait aucun doute qu’ils ont été créés indépendamment l’un de l’autre. Tout en étant le fruit de la même époque. »

L’ouvrage – bellement présenté – est indispensable à qui veut pénétrer au cœur de la création typographique française. J’ajouterai que s’il m’est arrivé de croiser le fer avec José Mendoza – l’ouvrage Rencontres typographiques en témoigne – cela se fit amicalement, comme il sied entre servants de l’imprimerie et des arts graphiques.