3/03/2017
« H.D., esprit de mythologie », par Louise de Crisnay
« Amour d’hiver », recueil des derniers écrits de la poétesse qui rebondissent de cabale en psychanalyse.
La romancière et poète H.D. (1886-1961) s’entoure d’anges comme d’autres de gens : « J’ai étudié intimement la longue liste d’anges gouverneurs. Il y en a trois pour chaque heure. Ainsi, il y en aurait une douzaine pour les heures nocturnes entre 2 heures et l’Aube quand je ne peux pas dormir. » Alitée à la fin de sa vie dans un sanatorium sur le lac de Zurich à cause d’une hanche cassée, elle tombe dans le magazine le Listener sur la photographie d’un hibou au zoo de Londres. Un mois plus tard exactement, il n’y a pas de hasard, elle commence un poème. Sous l’image, la légende n’a pas bougé. C’est toujours ce hibou petit duc à face blanche de Sierra Leone. Les yeux de l’animal, en revanche, sont sortis de leurs orbites. C’est le grand télescopage. Dans leur alignement, elle voit son propre enfermement, la cage de l’hôpital, mais aussi Aneb, Siré, Thopitus et bientôt Aterchinis en la personne de sœur Annie lui apportant son café. Comment va l’infirmière ? Bien, c’est-à-dire « gut-gut », c’est-à-dire « Goot », « Goed », « God » et Dieu, que c’est crypté. Tout se déplie, le moindre mot, le moindre son. Les vers oscillent d’un monde à l’autre comme des pendules divinatoires.
Ricochets
Vient le moment de la déroute. Sauf que dans son vertige, cette modernité-là a encore la clairvoyance de s’adresser au comte de Saint-Germain, le magicien du XVIIIe, comme au premier venu : « Germain a dit,
’est-ce pas un peu trop chargé ? / pouvez-vous mettre tous ces noms d’anges, une liste de dates, mois, jours, / de la prose insérée ? ou est-ce de la poésie ? l’Egypte, /ce rythme hiératique, puis l’association la plus ordinaire", mais j’ai dit, n’est-ce pas justement l’intérêt ? /qu’est-ce que je fais ? suis-je emportée dans un cycle / d’Esprits majestueux, y aspirant moi-même tout en questionnant / mon droit de mentionner un seul même des soixante-douze régents / du grand Temple d’Œdipus Ægyptiacus ? /suis-je en quelque manière, coupable ? ou le balancement / magnétique / du vaste cycle exige-t-il cet espace. »
La langue et l’esprit de H.D., cette mystique païenne, fille d’un astronome élevée dans la stricte tradition morave, évoluent allégrement entre la cabale, l’astrologie, la magie, le christianisme, la mythologie classique et égyptienne, et la psychanalyse. Qui l’aime ne la suit pas toujours. Amour d’hiver rassemble ses derniers écrits de 1957 à 1961, publiés à titre posthume en 1972 avec un avant-propos de Norman Holmes Pearson, son ami et fidèle éditeur. Il faut, dit-il, se plonger Dans l’ombre des cathédrales et la Kabbale pratique de Robert Ambelain pour apprécier toute la finesse de son jeu symbolique. D’autant plus curieusement qu’il ne s’en explique pas, il a choisi d’inverser l’ordre chronologique des trois séquences de poèmes que cette édition française rétablit.
Renaissance
Logiquement, puisque ces ultimes ricochets contiennent en substance la trajectoire de toute son œuvre, trop longtemps perçue comme la parèdre de celle d’Ezra Pound, alors que son orgie de références se révèle au moins aussi complexe, mais plus circonscrite car ne sacrifiant pas l’intériorité au mythe.
Ouvrant ce recueil, le hibou en captivité de Sagesse poursuit le dialogue avec le Londres du Blitz de sa Trilogie, pièce maîtresse sur le rôle de la poésie dans un monde en guerre. Amour d’hiver est un épilogue à son Hélène en Egypte qui part de la légende de Stésichore et du postulat que l’Hélène de Troie ne fut qu’une chimère, la véritable se débattant ailleurs avec ce double fantomatique, réécrivant au passage sa propre histoire. Quant à Définition hermétique, c’est la somme de ses vies amoureuses, spirituelles et poétiques.
H.D. est convaincue que « les femmes cherchent individuellement, comme une seule femme, des fragments de l’Amant Eternel. Tout comme l’Amant Eternel a été dispersé ou dissocié, de même elle dans sa quête de lui ». Autrement dit, c’est une nouvelle Isis qui d’un seul geste rassemble ici les morceaux d’Osiris et accouche de Horus. Conduit vers la renaissance, le défunt et l’infans, au début de la fin, aux premiers vers du dernier canto : « Maintenant vous êtes né / et tout est terminé / allez-vous me laisser ? »