1/05/2018
« Jazzie dans le métro », par Yann Fastier
EXPLORANT LA VIE DE LA COMMUNAUTÉ NOIRE-AMÉRlCAINE, TONI CADE BAMBARA NE S’ENCOMBRE PAS DE DISCOURS POUR FAIRE LA NIQUE AUX ENTRAVES.
Certains livres trop rares ont sur l’âme l’effet rafraîchissant d’une bouche d’incendie ouverte en grand par 40 à l’ombre. C’est un jaillissement d’une eau si pure et indomptable qu’il n’est pas encore né, le margoulin qui s’avisera de la mettre en bouteille. En quinze nouvelles dont on jetterait difficilement le moindre mot, Gorille, mon amour est de ces pétillants indociles, tout de grâce enfantine et d’insolente ardeur. Qu’elles soient femmes, adolescentes ou fillettes, les narratrices de Toni Cade Bambara ne s’en laissent conter par personne. Cœur sur la main, rien dans les poches et surtout pas la langue, elles avancent, pugnaces et sûres d’elles-mêmes en dépit de l’injustice et des obstacles dont l’Amérique blanche, raciste et patriarcale s’ingénie à parsemer leur chemin.
Car, voyez-vous être une femme noire aux USA ne va pas de soi, et ces embûches, Miltona Mirkin Cade (1939-1995) n’a certainement pas manqué d’en faire l’expérience, elle qui fut élevée entre Harlem, Brooklyn et le Queens et compléta son nom d’un Bambara plein de défi, comme trace ultime de ses origines africaines. Documentariste, enseignante et figure majeure du féminisme afro-américain, elle fut aussi l’auteure d’un œuvre puissante, dont les nouvelles de Gorille, mon amour, toutes écrites dans les années 60 et 70, représentent le premier accomplissement. Toni Morrison, alors éditrice chez Random House ne s’y trompa pas et ne cessera de la publier par la suite. […]