1/12/2019

« Jour de fête de Waldo Frank », par Julie Fraiture (librairie Livre aux Trésors à Liège)

Initiales

On peut toujours compter sur Ypsilon pour nous faire découvrir de véritables perles telles que Jour de fête. Après avoir publié Canne de Jean Toomer en 2016, les éditeurs se sont cette fois attelés à la réédition de son texte « jumeau », celui de Waldo Frank, qui bénéficie ainsi d’une première traduction en français. Les deux livres ont été publiés pour la première fois la même année, en 1924, et chez le même éditeur américain, Boni & Liveright. Tous deux écrits lors d’un voyage des deux amis, ils sont les versants d’une même réalité : celle du sud des États-Unis gangréné par la ségrégation.

Le récit se découpe en quatre parties d’une même journée – le crépuscule puis l’aube, avant midi et le retour du crépuscule déjà – dans la ville sudiste de Nazareth, spectacle d’une fièvre empoisonnante qui mènera à la tragédie.

On le dit d’emblée, Jour de fête est un texte magistral où la poésie est dans chaque mot, chaque tournure de phrase, procurant au texte un élan surprenant et déroutant. Un texte « difficile » peut-être au sens où aucune image n’y est évidente, mais où toute phrase fait sens. Il faut s’y plonger entièrement, ou plutôt laisser le flux des phrases nous envahir pour ressentir toute la charge dont il est porteur.

Une expérience plus qu’une lecture, un concert surprenant de voix chaudes jusqu’à la brûlure et qui disent toute la douleur que l’on ne devrait jamais oublier. Ici, la grâce côtoie l’horreur.

« Le sable tournoie. Le sable est la joue d’un dieu qui rit. La jetée fait une saillie en tremblant. Elle n’atteint rien : un geste impotent, la jetée. Le sable se lève… un rire terreux : elle s’en effarouche. »

Jour de fête est aussi grâce à Ypsilon un objet précieux, soigné : on salue ainsi cette ligne esthétique chaleureuse et noble, irradiante et rassurante au milieu des couvertures glacées et des jaquettes photographiées qui emplissent nos librairies.