1/04/2021
« Rodari, une œuvre au service des jeunes lecteurs », par Christophe Patris
Resté inédit en français, ce Libro degli errori, paru en 1964, condense tout ce qui rend les livres de Gianni Rodari aussi indispensables : la poésie, bien sûr, mais aussi l’humour, la tendresse et la considération toute militante accordée à l’enfance. Mêlant prose et poésies en vers, menées par l’hilarant pince-sans-rire Professeur Grammaticus (une invention à lui tout seul !), le recueil s’attache à reconsidérer les erreurs de grammaire et d’orthographe pour ce qu’elles sont vraiment : des forces, voire de l’art. Car pour Rodari/Grammaticus, les erreurs ne sont pas tant dans les verbes que dans les choses, c’est-à-dire dans les inégalités qui ont conduit à différencier les chances des uns et des autres dans la vie. Une lettre de trop ou qui manque dans un mot, et c’est la réalité même qui s’en trouve bouleversée : un pont en « béton aimé », plutôt qu’armé, immanquablement s’effondre. Plus qu’une traduction, c’est un véritable travail d’adaptation que propose ici l’éditeur pour rendre les infinies subtilités langagières, quitte à franciser certains passages (« io vado a Torino » devient par exemple « je vais à Bordeaux »). Mais la dimension génialement politique de ces poèmes pleins de coeur et du souci de l’autre reste entière, et l’édition, fidèle à l’originale, reproduit également les nombreuses miniatures en noir et blanc de Bruno Munari. Comme griffonnées au coin d’une table de café qui aurait servi à refaire le monde - ou à écrire de la poésie. Un poète essentiel, à (re)découvrir !
« Rodari, une œuvre au service des jeunes lecteurs »
Cent ans après sa naissance, que reste-t-il de l’œuvre de Gianni Rodari en France ? Dignement commémoré en Italie comme l’un des plus importants auteurs jeunesse que le pays ait jamais connu, le poète, romancier et essayiste transalpin aura connu quelques « moments » français, principalement dus à l’acharnement d’une poignée d’éditeurs.
Né dans une petite ville du Piémont en octobre 1920, Giovanni Francesco Rodari se démarque très tôt par sa conscientisation politique. Contraint d’adhérer au parti fasciste au début de la guerre (la carte du parti est obligatoire pour les fonctionnaires et Rodari est instituteur), il rejoint rapidement le Parti communiste italien et se lance pleinement dans la résistance à Mussolini.
À partir de 1948, il écrit ses premiers textes pour enfants pour le journal communiste L’Unità et devient rédacteur au sein du nouvel hebdomadaire jeunesse, ancré à gauche lui aussi, Il Pioniere. Cette expérience journalistique, qui sera rapidement suivie de la publication de ses premiers romans pour enfants, est prépondérante pour Rodari, tant elle lui apporte un regard tout à fait particulier sur la réalité, en décalage avec les attentes et les conventions éducatives de son époque.
Ce sens critique, mêlé à l’extraordinaire sens de la pédagogie acquis lors de ses premières années d’instituteur, feront tout le talent des romans et poèmes à venir, et trouvent leur acmé dans le titre aporique de son essai Grammaire de l’imagination (1973, traduit en français en 1979), merveilleuse pierre angulaire de son œuvre : les règles comme espace d’invention de sa propre liberté, l’imagination comme règle de vie.
Gianni Rodari restera fidèle au journalisme pour enfants jusqu’à sa mort, se consacrant tant à la presse écrite qu’à la télévision encore balbutiante, tout en poursuivant une carrière d’auteur inclassable et de pédagogue (il fonde en 1976 l’association de Promotion Sociale, encourageant l’enseignement laïque, démocratique et antifasciste), résolument au service des enfants lecteurs.