1/01/2011

« Le trait de Gerrit Noordij », par Caroline Bouige

Étapes

Pour la première fois traduit en français, Le Trait, une théorie de l’écriture relate la conception toute particulière de Gerrit Noordzij quant aux liens qui unissent écriture dessinée et écriture manuelle, deux champs régulièrement isolés l’un de l’autre par les scientifiques de la discipline. Un exemple soutient l’argument : le Romain du Roi, caractère d’imprimerie reproduit jusque dans les détails de l’écriture de Nicolas Jarry, qui était vers 1950 le calligraphe du roi. Toute la théorie de ce professeur de typographie et de calligraphique à l’école des beaux-arts de La Haye s’articule de fait sur l’idée que la qualité typographique dépend du blanc du mot et non à l’inverse, comme le défendent la plupart des textes et des méthodes d’écritures existants, du noir. Dans cette perspective, il s’agit non seulement de redéfinir les principes géométriques du tracé de la lettre mais aussi de réécrire une partie de l’histoire de l’écriture. Regarder comment, au travers des différentes époques, des contraintes techniques et des volontés esthétiques, s’est élargie la distance entre la lettre d’imprimerie, la calligraphie et l’écriture manuelle et comment en quinze siècles s’est perdue la logique du tracé. Puisqu’il en va de l’inscription du texte dans la page, de la distinction visuelle du mot – celle-ci apparaît aux VIe et VIIe siècles chez les Irlandais, qui rompent définitivement des lettres en introduisant dans les phrases l’espace blanc ; la culture arabe invente la ligature entre les lettres d’un même mot - et du comportement des scribes du Moyen Âge, qui accélèrent le rythme de l’écriture dans la page, la resserrant et réduisant les blancs jusqu’au déséquilibre physique du mot. Puisque Gerrit Noordzij attribue en partie à ce dernier phénomène la propagation de l’alphabétisme et qu’au Siècle des Lumières, les penseurs, pour rompre avec l’obscurantisme médiéval, préconiseront un retour à la forme antique sans en intégrer la logique du tracé. Puisque, enfin, le répète le théoricien, concentrent l’attention de l’enfant sur le mot et non sur la forme, l’habituent à écrire sans bouger le poignet, et omettent de lui faire considérer l’importance de l’équilibre des blancs dans le mot. Alors faut-il s’étonner d’une certaine déchéance de l’écriture manuelle et des principes fondamentaux d’écriture ? Si de cette perte de cohérence résulte l’incompréhension du lien entre écriture manuelle et écriture dessinée, Gerrit Noordzij en rétablit la véracité et la raison d’être, ne cessant de militer pour un apprentissage raisonné.