1/09/2010

« Lancement d’une Bibliothèque typographique chez Ypsilon Éditeur », par Roger Chatelain

Revue Suisse de l’imprimerie

C’est par l’ouvrage Un Coup de dés de Mallarmé que, en 2007, cette enseigne parisienne faisait son apparition sur la scène éditoriale. Les initiateurs avaient d’emblée choisi de placer leur production à un niveau élevé, au point de vue graphique et historique, puisque la réalisation (célèbre) du poète était reproduite (avec les illustrations d’Odilon Redon) dans le format et composée avec les caractères de l’édition définitive, préparée chez Ambroise Vollard.

En inaugurant sa collection typiquement dédiée à la typographie (dirigée par Sébastien Morlighem), Ypsilon invite à la découverte, en même temps qu’à la reconnaissance. Voyez l’ouvrage intitulé Le trait – « Une théorie de l’écriture » ! Auteur : Gerrit Noordzij. Né en 1931, il a enseigné, durant une trentaine d’année, la calligraphie, le dessin de caractère et la typographie à l’Académie royale des beaux-arts de La Haye. Dans les années quatre-ving, à l’occasion d’un congrès de l’ATypI, Fernand Baudin (1918-2005) avait attiré mon attention sur le travail de cet enseignant. Dans L’Effet Gutenberg (1994), il s’était d’ailleurs plu à consacrer deux pages à la « nouvelle théorie de l’écriture » du maître hollandais (qui, curieusement, avait entamé son parcours graphique dans la reliure).

C’est en 1985 que Noordzij avait publié ses considérations, sous le titre De Streek aux Pays-Bas. L’ouvrage constituait un développement de bases didactiques rédigée, en 1971, pour The Journal of Typographic Research. Intéressé par cette thématique (dont « l’écho fut quasiment nul en France »), Fernand Baudin entreprit, de son propre chef, la traduction française de ce livre. Sans trouver d’éditeur, à l’époque. L’excellente initiation d’Ypsilon représente donc une bonne surprise. Ce texte, fondamental, profondément original, parsemé de croquis de l’auteur et de modèles explicatifs, manquait assurément dans le giron francophone de l’imprimerie. Il paraît aujourd’hui avec l’autorisation de Thérèse Baudin.

La théorie de cet auteur, importante dans la classification des caractères, est fondée sur l’analyse du trait. Laquelle engendre trois types de contraste : la translation (le l’Antiquité au Moyen Âge) ; la rotation (le maniérisme) ; l’expansion (le romantisme). Il insiste aussi sur le blanc du mot, c’est-à-dire sur la contreforme. « Le Moyen Âge commence avec l’invention du mot et s’achève avec l’invention de la typographie » (sous-entendue l’écriture à l’aide de lettres pré-fabriquées). L’ensemble de l’ouvrage se réfère au geste du sculpteur, de celui qu’il appelle son « collègue médiéval », notamment…

Dit entre parenthèses, on peut être persuadé que la mode actuelle de réaliser des titres, lignes et pavés entiers en majuscules sera, dans la durée, clouée au pilori. Parce que, Noordzij le montre bien, la différence fondamentale entre une composition en bas de casse et une en capitales réside dans une notion de rythme dont cette dernière est dépourvue.

La substance de ce manuel est d’une orientation pointue. L’ensemble, supervisé par Jan Middendorp – dont on se rappelle qu’il avait collaboré avec RSI (N° 5 / 2000) pour présenter le travail de Clothilde Olyff – ravira les spécialistes, mais aussi tous ceux que l’écriture et le dessin de caractères intéressent. Doté d’une typographie et d’une présentation agréable, le livre est de bonne facture (l’éditeur a même eu le souci, devenu peu courant, d’incorporer un erratum, afin de rectifier trois coupures de mots erronées).