Georges Bataille
Georges Bataille est né à Billom (Puy-de-Dôme), le 10 septembre 1897, d’un père aveugle, qui devait deux ou trois ans plus tard être entièrement paralysé. Sa famille, d’origine paysanne, se mêla de politique dès 1848.
Études au lycée de Reims, où il est mauvais élève. Pratiquement mis à la porte en 1913. Élevé en dehors de la religion, incline dès cette époque vers le catholicisme et, finalement, se convertit. Mobilisé en 1916, il tombe malade et est réformé en 1917. Songe à se faire moine, mais entre à l’École des Chartes en 1918 où il fait de brillantes études. Il perd la foi en 1920. Après un séjour en Espagne, il entre en 1922 à la Bibliothèque Nationale. Lecture décisive, de Nietzsche, en 1923. En 1924, se lie d’amitié avec Michel Leiris, André Masson, Théodore Fraenkel. Écrit, en 1925, un petit livre intitulé W. -C., qu’il détruira ; en 1926, L’ANUS SOLAIRE, publié à la Galerie Simon en 1931. La rencontre à cette époque de Georges-Henri Rivière aboutit, en 1929, à la publication de DOCUMENTS, revue d’art d’aspect hétéroclite. Il est alors hostile à André Breton et entre en relations avec ceux des participants du surréalisme qui viennent de s’en séparer : outre Leiris et Masson, Baron, Boiffard, Desnos, Limbour, Ribemont-Dessaignes, Vitrac. Or, le SECOND MANIFESTE DU SURRÉALISME, publié en premier lieu dans LA RÉVOLUTION SURRÉALISTE, en 1929, comporte une attaque virulente contre ces derniers, qui se termine par la dénonciation de Bataille, tenu pour résolu à former un nouveau groupe. Le groupe n’existe jamais. Toutefois trois autres surréalistes, Morise, Queneau, Prévert, se joignent à ceux dont les noms précèdent (Masson seul ne donne pas de texte à cette publication) et à Bataille pour publier sous le même titre, UN CADAVRE, et sous la même forme que la détractation publiée lors de la mort d’Anatole France, une détractation d’André Breton, où l’on peut apercevoir aussi bien la violence du mouvement dont le surréalisme était alors l’expression (plus tard, peu à peu, la plupart des signataires de ce pamphlet se réconcilient avec Breton). Après avoir publié de nombreux articles de ces signataires, la revue DOCUMENTS disparaît en 1931.
Peu après Bataille adhère au Cercle Communiste Démocratique, groupe antistalinien, qui publie de 1931 à 1934, LA CRITIQUE SOCIALE (directeur : Boris Souvarine). Bataille donne dans cette revue de longues études (LA NOTION DE DÉPENSE, LA STRUCTURE PSYCHOLOGIQUE DU FASCISME, et, en collaboration avec Queneau, LA CRITIQUE DES FONDEMENTS DE LA DIALECTIQUE HÉGÉLIENNE).
Le Cercle Communiste finit par se dissoudre. Bataille prend en 1935 l’initiative d’un groupement politique d’intellectuels, Contre-Attaque, dont André Breton, réconcilié avec lui, fait partie. Contre-Attaque n’a qu’une existence éphémère. À sa dissolution, Bataille écrit LE BLEU DU CIEL, puis s’étant, avec un certains de ses amis, éloigné de toute activité politique, il forme une société secrète, dont la fin religieuse antichrétienne, essentiellement nietzschéenne, s’exprime en partie dans la revue ACÉPHALE qui, de 1936 à 1939, aura quatre numéros. Le Collège de Sociologie, fondé en mars 1936, est en somme l’activité extérieure de cette société, dont cependant, sauf Bataille, aucun des fondateurs (Roger Caillois, Michel Leiris, Jules Monnerot, tous anciens participants de l’activité surréaliste) ne font partie. Outre certains de ses fondateurs, Georges Duthuit, Boris Lewitsky, Jean Paulhan donnent des conférences à ce « Collège », dont le domaine n’est d’ailleurs pas généralement la sociologie, mais la sociologie « sacrée ». Collège et société secrète disparaissent avec la déclaration de guerre de 1939.
Dès 1938, Bataille s’était fait initier, d’une manière d’ailleurs rudimentaire, à la technique du « yoga » ; mais c’est seulement à partir de septembre 1939 qu’il commence de décrire l’expérience mystique intense et informe qu’il en résulte. Il commence dès lors la rédaction du COUPABLE, paru en 1944. Il n’entreprend qu’en 1941 d’écrire un livre à peine moins désordonné, L’EXPÉRIENCE INTERIEURE, édite en 1943. SUR NIETZSCHE (1945) se situe à la suite de cette description, où s’enchevêtrent des réflexions d’ordre divers, portant quelquefois sur les événements de la guerre.
En 1942, Bataille, atteint de tuberculose pulmonaire, doit quitter la Bibliothèque Nationale. Il va, à partir de 1943, s’installer à Vézelay, où il séjournera presque constamment jusqu’en 1949, date à laquelle il rentre dans la carrière des bibilothèques (d’abord nommé conservateur de la bibliothèque Carpentras, puis, en 1951, de celle d’Orléans). Il habite Vézelay lorsqu’il fonde, en 1946, la revue mensuelle CRITIQUE [ … ].
Il a rencontré dès 1941 Maurice Blanchot et, en 1946, René Char, auxquels le lient des sentiments d’amitié qui lui importent essentiellement.
Il a publié en 1949 un premier ouvrage où apparaît une vue d’ensemble de sa pensée, LA PART MAUDITE. C’est dans le prolongement de ce travail, dont la première ébauche remonte à 1930, que se situe L’EROTISME. L’EROTISME reprend par ailleurs des thèmes développé une première fois dans LASCAUX, OU LA NAISSANCE DE L’ART (1955) et dans la célèbre préface à MADAME EDWARDA (1955). LA LITTÉRATURE ET LE MAL tend à compléter cet ensemble où apparaît une possibilité de renversement et de contestation des données de la vie.
Bataille est loin d’avoir exposé l’entier développement de sa pensée. Mais voici ce qu’il est possible d’en dire, à la rigueur, dès maintenant : si son activité s’est égarée en divers sens, avec une incohérence fondamentale, c’est qu’elle s’efforça obstinément d’échapper aux limites convenus. Elle répond à la volonté de révéler, par delà ces limites, une vue souveraine, une vue dégagée des servitudes qu’impose la vie, une vue s’accordant à la perspective de la mort. Pour Bataille, les voies qu’obscurement tracèrent le délire religieux, la luxure, le désordre poétique, pour la raison même qu’elles s’opposent à celles que, pour assurer la persistance de la vie, nous devons suivre nécessairement, sont celles où apparaîtra cet au-delà de la possibilité, cet impossible que jamais nous ne devons prendre pour un possible, mais que la vie humaine appelle dans la mesure où elle appelle la mort.
Bataille imagine qu’en dépit des apparences ses intentions prolongent un mouvement violent dont, en France, après la guerre, le surréalisme a été le symptôme le plus voyant.
[Notice rédigée par Georges Batailles en septembre 1957, pour une plaquette annonçant, à l’occasion de ses soixante ans, la parution ensemble de La Littérature et le mal (Gallimard), L’Erotisme (Minuit), Le Bleu du ciel (Pauvert) ].