15/09/2017

« Leonardo Sciascia : Fables de la dictature », par Jérôme Duwa

Cahier Critique de Poésie

Une fable peut-elle rendre lucide ?

Le livre de Leonardo Sciascia s’achève sur l’image peu optimiste d’un homme enfouissant sa peur sous ses couvertures. Et il commence par une allusion non moins pessimiste au Loup et l’agneau de Phèdre, fable qui avertissait déjà que certains prédateurs sont prêts à inventer les arguments les plus spécieux pour parvenir à leurs fins. Apparemment, on n’écoute guère les leçons des fabulistes.

Le loup de Sciascia s’embarrasse moins que celui de son antique prédécesseur des propos de l’agneau : il va au but sans détour et dévore sa victime médusée par un destin écrit d’avance. L’écrivain sicilien s’interdit en outre de tirer la moindre morale. C’est inutile puisque l’expérience fasciste a eu lieu ; pour ses lecteurs de 1950, comme pour nous aujourd’hui, il reste cependant à se donner la peine d’y réfléchir.

D’une manière très différente d’Orwell, Sciascia parvient par ces brefs tableaux animaliers à dresser une psychologie du fascisme à travers une série de situations subtilement révélatrices des facettes d’un pouvoir autoritaire.

Par l’intermédiaire d’animaux maintes fois mis en scène depuis les Anciens, il trouve la juste distance pour aborder la logique d’oppression et de soumission qui a paralysé son pays à partir de 1922 et s’est diffusée ensuite dans toute l’Europe. Le temps du fascisme a été celui de la stérilisation des consciences et de la création : « Le chien aboyait à la lune. Mais le rossignol, la nuit entière, de peur se tut ». Fascisme signifie également obsession de la pureté, parade de la fausse grandeur, aveuglement volontaire et cruauté insidieuse, pareille à ce rat qui dévore la graisse d’un porc assoupi. Voyez aussi ce chat qui ne trouve qu’une seule raison de vivre au canari qu’il couve du regard : l’oiseau sait tromper son ennui par son chant délicieux, mais au moindre caprice…

On lit ces fables gagné par une inquiétude grandissante, convaincu comme l’indique Pier Paolo Pasolini qu’il n’est pas de meilleure manière de nous faire sentir la nature du fascisme que cette langue porteuse d’une tragique légèreté.

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