9/06/2021
« Beau geste », par Younness Bousenna
Sensuel, obsessionnel… Le premier tome de journaux de la poétesse Alejandra Pizarnik est fascinant.
Alejandra Pizarnik (1936-1972) aimait les plaisirs solitaires. « Ce Journal m’évoque de l’onanisme littéraire », ose la poétesse argentine, qui en fait même un programme de vie : « Les gens devraient se masturber. S’aimer platoniquement et se masturber. Alors ce serait le règne de la poésie. » Précisons que ces lignes figurent dans un écrit intime, et qu’Alejandra Pizarnik les posait à l’âge de tous les désirs : entre 18 et 24 ans. Ce Journal, Premiers cahiers 1954-1960 est le premier des trois tomes de journaux qu’entendent proposer les éditions Ypsilon. Avec douze œuvres déjà publiées, l’éditeur s’active depuis dix ans pour faire rayonner en France cette écrivaine étonnmment méconnue. Car Pizarnik, admirée par Borges, amie d’Yves Bonnefoy et d’Henri Michaux, a vécu quatre ans à Paris, traduisant entre autres Antonin Artaud, André Breton et Paul Éluard.
Les neuf cahiers du présent volume s’achèvent par son arrivée à Paris, mais la culture française imprègne dès le début de ses notes, rythmées par sa découverte de Proust. Réceptacle de ses lectures, ces journaux nous dévoilent surtout la naissance de sa vocation pour l’écriture : créer est une obsession chez cette jeune femme tourmentée. Angoissée quant à son talent, Pizarnik épanche aussi mille autres tourments, de sa solitude existentielle et affective à ses pulsions suicidaires, en même temps que son immense soif sexuelle - d’hommes comme de femmes. Peu à peu, le lyrisme désespéré des premiers cahiers et, tandis que s’estompe un mal-être touchant au poncif romantique, de premières charpentes s’échafaudent. Elles bâtiront la poésie de celle qui se vit comme « un désir suspendu dans le vide ».