16/01/2015
« Amelia Rosselli : La Libellule », par Sébastien Hoët
Toute traduction de la poésie d’Amelia Rosselli est une tentative de traduction, et toute publication une tentative sérieuse, un moment important dans l’édition poétique. Il faut donc d’urgence acquérir cette traduction intégrale de La Libellule – dont certains passages avaient déjà été traduits par Jean-Charles Vegliante, lui-même principal traducteur de la poétesse avant le travail mené actuellement par Marie Fabre. Amelia Rosselli, quoique née à Paris, et de mère anglaise, est une des poétesses italiennes les plus importantes du XXe siècle, et attira l’attention, notamment, de Zanzotto et de Pasolini. S’il faut admirer toutes les tentatives de traduction de sa langue, de sa langue poétique particulièrement, c’est que cette langue est une et plusieurs, Amelia Rosselli entrelaçant l’italien, le français et l’anglais, ainsi que des formes anciennes renouvelées, dans un fleuve verbal, un véritable magma langagier qui ne cesse de rouler sur ses bords, fondant dans son tumulte les langues qui s’y sont déversées. Peu d’écrivains ont porté si loin la création verbale, on pense à G. M. Hopkins, à Joyce bien sûr, ou encore à Djuna Barnes – à laquelle s’intéressent les éditions Ypsilon. La Libellule ne peut, dans le contexte d’une pareille créativité, qu’être un « Panégyrique de la liberté » ainsi que le dit la parenthèse accolée au titre du poème. Un Panégyrique mais aussi une Érotique avec l’apostrophe récurrente au Tu, apostrophe amoureuse, haineuse, plaintive, élégiaque… Fleuve verbal mais éminemment féminin, comme chez Tsvetaïeva correspondant avec Rilke et Pasternak. Un moment de cette langue en fusion : « Et la tournoyeuse langue des saints tombés avec les allumettes allaient incendier le vrai ciel tant déchiré de sermons administrés à la meilleure jeunesse. Pas la jeunesse obstrusionnée, elle ne sait dire qui sera son père, car elle le hait, mais sait reconnaître sa mère, qui l’allaite » (p. 15)