1/02/2023
Note de lecture du Livre du Jazz, par Jean-Pol Schroeder
Bon, on arrête de grogner ? Je sais, je sais, encore un livre sur l’histoire du jazz ! Un livre de 80 pages, donc superficiel ! Un livre écrit en 1955 donc complètement dépassé et qui s’arrête, au mieux, au be-bop ! Et cette table des matières, franchement : Les tambours d’Afrique, la Nouvelle-Orléans, les instruments du jazz, les musiciens célèbres, clichés et cie. Tout ça dans un livre “jeune public”. Ok, ok n’en jetez plus, Le Livre du Jazz n’a aucune vocation encyclopédique, il s’arrête bien au be-bop et au cool et il ne contient guère de révélations. Mais. Car il y a évidemment un et même plusieurs “mais” qui explique(nt) que ce petit livre paru en 2022 aux éditions Ymagier/Ypsilon mérite largement sa place dans ce Hot House…
Son auteur tout d’abord ! The First Book of Jazz (titre original) est en effet l’œuvre de monsieur Langston Hughes, poète, romancier, essayiste, dramaturge, auteur de The Negro Artist and the Racial Mountain, paru dans The Nation en 1926 — un texte généralement considéré comme le manifeste de la Harlem Renaissance des années 20. Aux antipodes du paternalisme des tenants de « l’Art Nègre » du début du siècle, Hughes propose, sur les traces de W.E.B. Dubois ou Booker Washington, et au diapason d’écrivains comme Countee Cullen ou Claude McKay mais aussi de peintres comme Aaron Douglas ou William H. Johnson, une vision nouvelle de la communauté noire américaine. Une communauté qui revendique fièrement ses productions artistiques (jazz y compris), une communauté qui, avec Marcus Garvey, en appelle également à une reconnaissance sociale et politique au cœur d’une Amérique encore largement ségrégationniste et raciste1 .
On connaît ces aspects de la carrière de Langston Hughes, mais l’homme a également écrit à plusieurs reprises pour les enfants et la jeunesse. Pas d’analyse politique intellectuelle en tant que telle dans cet autre type d’ouvrages, mais en toile de fond, une omniprésence des souvenirs de l’esclavage, du racisme, du combat pour les droits civiques, de l’espoir de voir émerger un monde où les Noirs ne s’exprimeront plus avec le visage et la langue peints en blanc comme on peignait celui des Minstrels blancs en noir. Il entend proposer aux enfants noirs (et aux blancs s’ils tombent sur ses livres) d’observer le monde qui les entoure avec curiosité et sens critique. « La littérature pour enfants est un véhicule utile et puissant pour revoir des réalités déformées ; elle peut être actrice d’une transformation sociale espérée. »
Outre la personnalité et l’écriture rythmée (quasi swinguante) de son auteur, Le Livre du Jazz bénéficie également des superbes illustrations en noir et blanc de Cliff Roberts, amoureux du jazz, collaborateur du New-Yorker et de Playboy et qui, plus tard, participera à l’animation mythique de la Panthère Rose ou de Scooby-Doo ! Du swing ici encore à travers « les aplats intelligemment rythmés par leurs formes et contre-formes dynamiques et par une passion pour les percussions jazz, que Roberts pratiquait » (Pauline Nuñez). On attend un article d’Olivier Sauveur sur ce formidable créateur « d’images qui s’entendent » et donnent davantage de sens encore au texte de Hughes. En attendant, procurez-vous ce petit livre tiré à 1200 exemplaires, non pour en apprendre davantage sur les coulisses du jazz mais pour mieux en comprendre la portée historique, dans un langage accessible à tous.
- « Nous les jeunes artistes nègres, entendons désormais exprimer notre identité à la peau noire, sans crainte et sans honte. Si les Blancs sont satisfaits, tant mieux. S’ils ne le sont pas, cela n’a pas d’importance. Nous savons que nous sommes beaux. Et laids aussi. Le tam-tam pleure et le tam-tam rit. Si les Noirs sont satisfaits, tant mieux. S’ils ne le sont pas, leur insatisfaction n’a aucune importance non plus. Nous constituons nos temples pour demain, aussi solides que nous pouvons, et nous nous dressons au sommet de la montagne, libres à l’intérieur de nous-mêmes. » (L. Hughes) ↩