20/06/2017
« Susan Howe, Mon Emily Dickinson », par Jean-Paul Gavard‑Perret
Un conséquent plaidoyer
Susan Howe éclaire la personnalité d’Emily Dickinson. A la maladive et diaphane poétesse se substitue la figure de proue de la poésie mondiale. Car l’agoraphobe transforma chaque poème bien au-delà de sa légende romantique évanescente. Emily Dickinson devient ici le « Fusil chargé » (titre d’un de ses textes) qui bat la campagne et ses forêts des songes. Le souffre n’est jamais loin là où la nuit semble avoir raison de tout. Mais elle remue, car la poétesse ne lui accorde nul répit et pas même l’occasion de mourir.
Exit les éthers vagues au profit d’une précision qui ne rate jamais sa cible et ne lâche jamais sa proie. Susan Howe (elle-même poétesse) met les points sur les i et les montres à l’heure. Exit aussi les visions misogynes de ceux qui crurent voir dans la poétesse une sauvageonne brouillonne. Dickinson n’était pas seulement une poétesse du regard mais de l’intelligence la plus profonde.
Susan Howe en finit avec le sentimentalisme qui voudrait clôturer l’œuvre. Elle remet l’Américaine dans son contexte afin de situer la puissance de l’œuvre face aux pouvoirs poétiques, sociaux et religieux de l’époque.La transgression demeure le maître mot d’une œuvre qui se refusa pour autant d’en faire un absolu. Emily Dickinson avait mieux à faire : avancer dans la langue à coup de répétitions, surprises, dislocation, syntaxe déconstruite. Peu sont allés si loin pour faire suer le logos et le porter au bord de l’indicible et lui faire rendre grâce.
Si elle avança solitaire et masquée, c’était seulement afin qu’on lui foute la paix. Ses textes restent des copeaux semés dans la paresse du silence. Le temps y devint un mouchoir noué. Dans sa phase complémentaire de continuum il prit la transparence de la tromperie dans sa retenue et son goût d’oubli.
Emily Dickinson rappela que nous devons rester l’autre et la lutte. Qui n’est pas et ose se dire avance dépossédé de lui-même dans l’indifférence. Toute volonté est forcément violence. Qu’importe si à la fin toute biographie s’efface d’elle-même.