15/09/2022
« Penna l’anonyme », par Paul Aymé
Chaque récit d’Un peu de fièvre est l’histoire d’une lumière. Car chaque récit est celui d’une apparition. Il a par conséquent sa lumière propre, indispensable au phénomène. D’ailleurs, dans ce livre, tout est lumière, « même [les] voix ». Penna est un rêveur éveillé, dont les rêves sont à chaque arrêt de tram, dans chaque ville découverte, et chaque ville a sa lumière, et chaque ville a ses garçons. Penna partage avec certains d’entre eux « la douce ardeur des solitaires », « une douceur active ». Rayonnent des motifs de joie qui n’en forment qu’un. Et plus Penna semble suffisant, plus son don est grand : dans une fébrilité confiante, il donne au lecteur ses yeux, dirigés par d’incessantes merveilles, d’innocents soleils, qui portent le nom de miracle, dialecte, spectacle. Tout le reste est langueur – non paresse. Parce que chaque histoire est faite de « choses élémentaires », de jeunesse et d’inconnu (« Quelque chose naît que je ne connais pas »), toutes semblent les séquences échappées d’un film de Pasolini. Ce qui fait lien, entre Penna et Pasolini, est une même reconnaissance du sensuel, de l’antique, du codifié ; aussi, une élégante avidité ; l’évidence que l’aventure est à portée de main, au bout d’un sentier, d’une rue — ils ont tous deux l’art de la filature. Mais à la différence de son ami, Sandro Penna est anonyme. Il accepte, peut-être même revendique, d’en rester là, d’une présence, d’un regard, comme d’un poème — puisque « Tout amour a sa durée ».