4/03/2016

« Vale Ave de H.D. », par Emmanuel Requette

Librairie Ptyx (Bruxelles)

Qui voudrait ramener Hilda Doolittle, et en particulier ce recueil, à sa seule articulation féministe se tromperait d’importance. Ou n’y aurait décelé que ses propres obsessions. Si H.D. place bien son recueil sous le patronage de Lilith, première femme d’Adam — mais pas que —, et donc en réfère à une des figures emblématiques du féminisme, elle est cependant très loin d’en jouer avec les simplismes émaillant certains discours orientés et postérieurs à l’écriture du recueil. Lilith serait ainsi devenue une simple rebelle au pouvoir d’Adam. Née, non de sa côte, mais, tout comme lui, de l’argile divin, elle est aujourd’hui moins l’expression d’une égalité de droit que d’une confrontation de deux puissances destinées à s’affronter sans fin. S’affronter et que cela…

non, ni hordes barbares ni dieux ne peuvent l’emporter
sur la loi qui tire l’escargot à travers l’herbe,
qui détourne le faucon de sa course,
qui conduit le lion tant qu’il n’a pas découvert la lionne au fond de la grotte.

Partant de la figure mythique de Lilith, s’attardant sur celle de Elizabeth Raleigh, l’enrichissant de son expérience personnelle, H.D. n’érige pas son poème comme un appareil de combat entre l’homme et la femme, dont il serait possible de peindre des archétype forcément ennemis, mais comme la peinture d’un aller-retour de l’un à l’autre, à la fois sans fin et toujours intimement personnel. Vale, adieu. Ave, bonjour. Et quelque part entre ces deux vocables, entre un début rêvé et un inéluctable au revoir, la relation entre l’homme et la femme. Toujours suspendue entre sa survenue et sa fin, c’est l’acte d’aimer que tente de dire ici H.D.

l’Amour est l’autel où nous brûlons

Très référente, plongeant à grand traits dans une immense érudition, la poésie de H.D. peut sembler au premier abord instituer une distance avec le lecteur, qui, si ce dernier n’y prend garde pourra même paraître irrémédiable. Mais pour peu qu’il fasse montre d’un peu de pugnacité — et qu’il s’appuie sur les utiles postface et préface de cette édition —, il trouvera dans cette sublime extension de notre temps commun une des plus belles expressions de ce qu’est aimer.