1/12/2025
« Vie imaginaire » de Natalia Ginzburg, par Jérôme Duwa
À l’exception du dernier, qui donne son titre à cet ouvrage inédit en français, les articles recueillis dans ce volume ont été écrits par Natalia Ginzburg (1916-1991) pour La Stampa et Il Corriere della sera, au début des années 1970. Inutile de comparer avec les standards actuels de l’écriture de presse. Dès les premières pages, un ton s’impose, celui d’une écrivaine qui entend dire le fond de sa pensée à un public n’aimant pas les « idées factices » mais s’imaginant devoir les aimer. Ginzburg ne scelle pas son sentiment au sujet de l’époque dans laquelle il lui faut vivre : « Je ne la juge pas : je la hais. » Cependant, dans ce moment historique des « années de plomb », que le texte intitulé « Le tunnel » restitue en donnant forme à sa colère, elle n’oublie pas que des « choses essentielles et précieuses » existent dans les arts. N’est-ce pas le rôle du critique d’être animé par cette conscience divisée, à la fois irascible et vigilante à l’égard de ce qui doit mobiliser une attention que « rien au monde » ne saurait distraire ? Ginzburg assiste à la prolifération des voitures dans Rome, au développement d’un consumérisme appauvrissant jusqu’à l’imaginaire enfantin (« La magie de Noël »), parce que l’idée dé sormais triomphante s’implante que « tout peut faire mal aux enfants » (« Sans fées ni enchanteurs »). Au critique incombe la tâche de défendre, par exemple, La Storia (1974) d’Elsa Morante ou les films d’Ingmar Bergman. Mais Ginzburg s’astreint en outre à la fermeté pour dire en quoi Pavese, qui fut son ami, a été odieusement défiguré dans une pièce de théâtre à succès. Elle ose aussi écrire dans quelle mesure le dernier livre de Moravia ne lui plaît pas, sans néanmoins négliger d’exprimer sa dette à l’égard de ses Indifférents (1929), une oeuvre libératrice et initiatrice à l’époque d’une Italie pétrifiée par le fascisme.