1/04/2015
« James Baldwin ou l’écriture noire de l’Histoire », par Marianne Dautrey
« Cette histoire n’a été qu’un joug intolérable, une horrible prison, une tombe », écrit James Baldwin (1924-1987) dans Chassés de la lumière. De quelle histoire parle-t-il ? De l’histoire des Noirs écrite par les Blancs en général, et par Faulkner en particulier. Mais aussi de l’histoire des Noirs écrite par des Noirs subjugués par le joug blanc. L’Histoire est un piège. Soulever le joug, faire tomber les murs de cette prison, ouvrir cette tombe, tel est le défi que James Baldwin releva en dramaturge, romancier et essayiste noir américain.
« Les risques sont si grands et le chemin à parcourir si long encore et si dangereux qu’il n’y a pas de temps à perdre et que chaque action en acquiert un caractère d’urgence impersonnelle », poursuit-il. Deux livres de lui paraissent aujourd’hui qui dessinent les contours et jalons de cette tâche : Chassés de la lumière donc, enfin restitué dans sa version intégrale, et Retour dans l’œil du cyclone. Le premier est un récit autobiographique et le second un recueil de textes parus à l’origine dans la presse. Tous deux se regardent, se répondent, s’enchâssent pour ne former en réalité qu’un seul et même texte.Le récit autobiographique, discontinu, heurté, brisé, ne tisse aucune histoire linéaire mais se délite en une constellation d’éclats de textes qui entrent en collision. Les essais, eux, sont écrits à la première personne, comme autant de fragments d’une autobiographie. Ils parlent d’une seule et même chose. Non de l’histoire de JamesBaldwin proprement dite, mais bien plutôt, à travers celle-ci, des tentatives d’écritures noires de l’Histoire, celles de Martin Luther King, de Malcolm X et accessoirement deBaldwin lui-même. Y est aussi posée la question de l’existence d’une langue noire…Au bout de ces histoires fragmentaires, ou dans leurs interstices, s’en profile une autre aux traits encore hésitants et incertains, où il ne serait plus question ni de Noirs ni deBlancs.