26/12/2024
« Rose Montmasson, héroïne inconnu de l’unité italienne », par Alain Nicolas
Maria Attanasio fait revivre la seule femme de l’expédition de Garibaldi, artisan de l’unification du royaume d’Italie, qui libéra la Sicile.
C’est à Marseille, en mai 1849, que la rencontre a lieu. Lui, Sicilien républicain de 31 ans, a joué un rôle de premier plan dans la révolution de Palerme qui a chassé les Bourbons et créé un État sicilien républicain et indépendant. Il s’appelle Francesco Crispi. Pour les Italiens, c’est comme si on disait en France Gambetta ou Jules Ferry : un des pères fondateurs de la nation. Elle, c’est Rose Montmasson, une Savoyarde de Saint-Jorioz, au bord du lac d’Annecy. Elle n’est pas encore célèbre.
Les choses ne vont pas plus loin de jour-là. Crispi, exilé et sans ressources, cherche à gagner Turin. Le royaume, qui comprend le Piémont italien, la Savoie et la Sardaigne, veut unifier l’Italie derrière Victor-Emmanuel II. Même les républicains, comme Mazzini, le maître de Francesco, y sont accueillis.
À Turin, le hasard met sur la route de Crispi, la « fille de Marseille ». Il savaient tous les deux gardé un souvenir ému de leur rencontre, et, l’histoire ne dédaignant pas de s’écrire comme un roman-feuilleton, Francesco et Rose tombent dans les bras l’un de l’autre. Totalement inconnu chez nous et aujourd’hui presque oubliée dans son pays même Rose Montmasson fut célèbre en son temps. Mais c’est presque par hasard que Maria Attanasio, originaire de Caltagirone, une petite ville de Sicile, la découvre et en fait l’héroïne de son récit.
Étrange destin que celui de cette fille de paysans pauvres de Savoie. elle a quitté sa famille, trouvé un emploi de repasseuse à Marseille. Dans le milieu des immigrés, l’espérance de l’unité italienne se conjugue avec les aspirations sociales et démocratiques. Crispi est de ce camp-là, et c’est pas conviction autant que par amour qu’elle épouse son combat, le suit en exil à Malte — où ils se marient —, en France et en Angleterre.
C’est ainsi que, malgré l’opposition de son époux, elle convainc Garibaldi de la laisser prendre part à la fameuse « expédition des Mille », qui débarque à Marsala, conquiert la Sicile et permet l’union du royaume des Deux-Siciles — Naples et Palerme — et de la Savoie en une première version de l’Italie réunifiée. Rose, dite Rosalia, est la seule femme « chemise rouge » et célébrée comme une icône nationale.
Un destin féminin étonnant
Mais la victoire porte des fruits amers. La carrière de Crispi est brillante. Il lui aura pour cela fallu dire adieu à la gauche et à la république, quitte à se brouiller avec Mazzini et Garibaldi. Son monarchisme tout neuf lui vaut de devenir un des principaux hommes politiques de la jeune Italie. Rose est la principale victime de ces reniements. Pour épouser une de ses maîtresses — la fille d’un riche magistrat bourbonien qu’il avait lui-même destitué —, il fait annuler son mariage pour des raisons de forme administrative, reléguant Rose dans la précarité. Elle mourra en 1904, sans avoir rien renié de ses convictions.
Maria Attanasio suit pas à pas cette héroïne, et présente le romain d’un destin féminin étonnant, face cachée d’un autre roman, celui de la formation de l’Italie, qui gagne ainsi une dimension insoupçonnée.