26/10/2024

« Une femme parmi les “Mille” », par Isabelle Rüf

Le Temps

Une historienne sort de l’oubli Rosalie Montmasson (1823-1904), héroïne du Risorgimento italien.


En 1860, sous la direction de Garibaldi, un corps de volontaires débarque en Sicile. Une expédition hasardeuse, une étape importante vers l’unité de l’Italie. Parmi ces « Mille », une seule femme, Rosalie Montmasson (1823-1904). Épouse de Francesco Crispi, un des organisateurs de l’expédition, militante de la première heure, elle se bat avec les révolutionnaires, soigne les blessés. Mazzini et Garibaldi la tiennent en grande estime. Puis, elle tombe dans l’oubli.

Professeure de philosophie, écrivaine, la Sicilienne Maria Attanasio s’attache avec passion à faire revivre des figures féminines occultées. Elle leur consacre des livres qui tiennent de l’enquête historique. Et les vides des archives, elle les comble de chair romanesque plausible, avec élan et talent.

Une rencontre décisive

Avec Rosalie Montmasson, elle tient une belle et triste histoire. La jeune fille a fui la ferme de Haute-Savoie et la domination de ses père et frères. Elle exerce comme repasseuse à Marseille puis à Turin. La rencontre avec Crispi est décisive : cet intellectuel sicilien engagé, déjà recherché par les polices, offre à l’audace de la jeune fille un but politique. Elle le suit en exil à Malte, où il l’épouse. C’est elle qui subvient à leurs besoins, porte les messages. Ils rejoignent Mazzini à Londres et préparent avec lui l’expédition des Mille.

Par la suite, les relations du couple se dégradent pour plusieurs raisons. Politique: élu député, Crispi adopte une position monarchiste, Rosalie reste républicaine. Sociale : elle n’est plus assez élégante et cultivée pour tenir salon à Florence. Et intime : non seulement il la trompe abondamment, mais il fait des enfants à ses maîtresses. Le scandale menace la carrière de Crispi. De manière assez sordide, il obtient l’annulation du mariage à Malte mais il est accusé de bigamie, ce qui nuit un temps à sa carrière.

Pourquoi Rosalie ne se défend-elle pas ? La peur de perdre la maigre pension qu’il finit par lui accorder ? Un attachement indéfectible ? Un sursaut de dignité ? En dépit du soutien de la reine Marguerite de Savoie, elle se retire. Jusqu’à sa mort en 1904, elle vit dans la pauvreté, grâce aussi à la petite pension accordée aux Mille. Dans l’isolement, selon la biographie officielle. Mais Maria Attanasio scrute les documents les plus oubliés pour donner à Rosalie une fin moins pathétique, entourée de militants. Ce qui est certain, c’est qu’elle a été enterrée dans la chemise rouge des garibaldiens, « avec beaucoup de couronnes et aucun prêtre » !