22/11/2024
«La Fille de Marseille» de Maria Attanasio : viva Rosalia, par Frédérique Roussel
Maria Attanasio remet en scène une héroïne garibaldienne reniée par son mari arrivé au pouvoir et effacée de l’histoire italienne.
Un jour de désœuvrement de 2010, Maria Attanasio découvre une information datant de 2007. Un article d’une revue en ligne relatait la cérémonie de la pose d’une plaque sur le mur d’un palais florentin pour le bicentenaire de la naissance de Garibaldi. La plaque était dédiée à la garibaldienne de Calatafimi, « Rose Montmasson, débarquée avec les Mille à Marsala ». « Une information inouïe » pour l’écrivaine et poète sicilienne. Si elle savait que des femmes avaient participé au Risorgimento (l’unité italienne) et rejoint l’équipée après son débarquement à Marsala, elle ignorait que l’une d’entre elles avait participé à l’expédition des Mille elle-même. En mai 1860, ce corps composé d’un peu plus de mille volontaires et mené par Garibaldi avait débarqué en Sicile pour détrôner les Bourbons.
Repousser un scandale de bigamie
Quid de cette Rose, ou plutôt Rosalia comme Maria Attanasio le découvrira plus tard ? D’elle, il n’y avait aucune trace dans les livres d’histoire, « un inexplicable silence sur l’héroïne des Mille, comme elle fut appelée par ses contemporains ». De quoi donner envie de retracer sa vie dans un roman, en collectant les rares éléments sur elle et « de schématiques détails existentiels », mais suffisants pour dérouler un fil chronologique épique. Le parcours de Rosalia Montmasson (1823-1904) contient de nombreux ingrédients irrésistibles pour une bonne histoire : une passion amoureuse mêlée d’un idéal politique, une vision commune de la lutte qui diverge au fil du temps, la trahison de l’homme arrivé au sommet du gouvernement et qui en vient à renier la République et son mariage pour repousser un scandale de bigamie.
La Fille de Marseille démarre par la rencontre entre ces deux-là, Rosalia et Francesco Crespi, entrevus à Marseille (d’où le titre) puis qui se tombent dans les bras à Turin. Figure majeure de la brève prise de Palerme de 1848 réprimée par Ferdinand II, il est en fuite. Elle, de milieu modeste, ne demande qu’à se dévouer pour une cause. Le couple accueille les Siciliens du comité révolutionnaire en exil, avant que l’arrestation de Francesco ne les amène à Malte pour un an et demi d’exil où ils se marient avec la bénédiction d’un prêtre « vagabond et insomniaque ». Contre Francesco qui pense qu’une femme ne doit pas faire partie des Mille, elle va demander l’autorisation au général lui-même. « Peut-être la femme revendiqua-t-elle son passé de conspiratrice […]. Ou bien, lui répéta-t-elle avec force, que la liberté n’était pas privilège d’homme mais audace du cœur qui dit non à l’aveugle servitude de l’obéissance. Et que les femmes étaient prêtes pour le grand moment. » L’exercice du pouvoir par Francesco Crespi aura un goût amer. Rosalia Montmasson ne reniera rien, jusqu’à réclamer d’être enterrée avec la chemise rouge de garibaldienne.