15/01/2025
« L’enfant de cœur », par Fabrice Colin
« Ne savez-vous pas qu’ici un enfant s’est tué par amour ? » C’est un conte d’une lumineuse noirceur : l’histoire, dans le Berlin des années 20, d’une fillette délaissée, ignorée, bafouée. L’entourage ? Un père absent, toujours parti en d’inaccessibles contrées (il « lui envoie des cartes postales de dames voilées ») et vite hissé, dans son esprit, au rang de figure mythique. Une mère dédaigneuse et injuste, « dont on ne peut attendre que le pire ». Un frère de 16 ans qui enfonce « son couteau » dans « sa blessure » et devient, dès lors, son ennemi mortel.
Dans le clair-obscur de sa solitude, la petite découvre la trouble féérie des tourments intimes. Livrée à elle-même, elle répond tant bien que mal aux appétit incompréhensibles de la chair. En ses rêves, un cercle d’hommes se ferme autour d’elle, qui la regardent « à travers les trous de masques d’épouvante ». Un garçon de sa classe lui plaît. Serments d’éternité tremblants. Il s’embrassent, une fois, deux fois et, c’est terminé. « L’amour est-il si bref ? » À la piscine, alors, un homme au « beau corps long, hâlé », au « visage sombre, mélancolique » attire son attention. Soudain, elle sait pourquoi elle est venue au monde. Jusqu’où ira-t-elle ? Jusqu’au bout.
Née en 1916, l’Allemande Unica Zürn gagne Paris après la guerre, fréquente les surréalistes. Michaux, dont elle s’est violemment éprise, l’initie à la mescaline. Idée douteuse. Schizophrène, la malheureuse subit maints internements ; dessine, écrit — se débat contre des ténèbres qui menacent de l’engloutir. Peine perdue. En 1970, de l’appartement parisien du peintre Hans Bellmer, son ancien compagnon, elle se défenestre.
Écrite peu de temps avant sa mort, cette fable dépouillée, aux accents autobiographiques, dit la déréliction des âmes et les affres du cœur… mais peut aussi se litre, ainsi que le suggère la traductrice, comme la « condamnation sans appel, collective, d’une société mortifère ». Eros et Thanatos, tout à leur valse endiablée, ne peuvent se déprendre l’un de l’autre, mais un espaoir, en filigrane, se fait jour : celuis de la douceut, et d’un avenir meilleur.