Roger Blin
Une dette d’amour
Postface de Valère Novarina.
Dans Le Corbeau de Henri-Georges Clouzot, on découvre le jeune acteur Roger Blin, allongé dans un lit d’hôpital, prêt à mourir. On le retrouve hospitalisé dans le livre d’Hermine Karagheuz, et de nouveau mourant. Entretemps, il aura monté les textes de Samuel Beckett et Jean Genet, enregistré Pour en finir avec le jugement de Dieu avec Antonin Artaud et Maria Casarès, et rencontré Hermine, jeune voleuse de Saint-Germain-des-Prés, qui vend des poèmes pleins de fautes d’orthographe écrits sur des bouts de papier, et qui bientôt deviendra comédienne.
C’est de cette vie qu’il est question ici, des engagements artistiques, politiques et amicaux d’un homme bègue, vus par une femme dyslexique. La traversée d’une époque, de la Rive gauche en ruines à la décentralisation, en passant par mai 68, avec l’art pour boussole. La mort de Roger est décrite avec autant de détails et de précisions que sa vie, et l’une comme l’autre sont admirables. C’est l’hypothèse d’Hermine Karagheuz : on meurt comme on a vécu. Le récit est vif, épuré, vibrant, on traverse toutes les époques, on les enjambe, on court, on n’esquive rien pourtant. Quelque chose de ce passé nous emporte, comme il a emporté Roger Blin, et Hermine Karagheuz après lui, qui note les répliques — la dernière sera : « Je n’ai pas faim, merci ». Si être artiste est avant tout une façon d’être au monde, il s’agit aussi de le quitter : l’art est partout, jusqu’au bout.