1/04/2012

« Écrire, c’est se demander comment le monde est fait », par Marie Fabre

Europe

Amelia Rosselli est née en 1930 à Paris, où sa famille avait trouvé refuge après avoir fui l’Italie pour des raisons politiques. Son père, Carlo Rosselli, grande figure de l’antifascisme italien et fondateur du mouvement « Giustizia e Libertà » , avait participé à la guerre d’Espagne avant d 'être assassiné en France avec son frère, Nello Rosselli, par un commando de la Cagoule en 1937. C’est le début d’une longue fuite en avant dans laquellz se passent l’enfance et l’adolescence d’Amelia Rosselli : la mère et ses enfants se réfugient d’abord en Suisse, puis en Angleterre et au Canada, avant de s’installer aux États-Unis. De cette naissance en exil et de cette enfance passée sous les bombardements, dans de continuels déplacements, la poésie de Rosselli garde de nombreuses traces.

Si presque tous les articles sur Amelia Rosselli partent de cette filiation, ce n’est pas par simple souci biographique : cette histoire est constituée de l’identité poétique de celle qui se définissait comme « fille de la Seconde Guerre mondiale »1 . La « filiation » doit ici se comprendre dans son sens le plus fort, sous le signe du rapport à un père martyr et symbole, qui ancre immédiatement son histoire dans celle d’un XXe siècle violent, liant le plus intime au plus politique. Andrea Cortellessa a très justement rappelé au sujet d’Amelia Rosselli cette phrase d’Ingeborg Bachmann : « le Moi n’est plus dans l’histoire, mais c’est l’histoire, aujourd’hui, qui est dans le Moi »2 . C’est que l’histoire, celle des années du fascisme puis de la guerre, n’apparaît pas simplement à travers un témoignage autobiographique dans ses poèmes, elle est au contraire le lieu même depuis lequel Rosselli commence à parler, sans autre choix. Mais il est utile pour compléter notre portrait de rappeler aussi la filiation avec sa mère, Marion Cave, anglaise — au fil des déplacements, Amelia en viendra à maîtriser les trois langues : l’anglais, l’italien et le français. Si Antonella Anedda, dans l’article que nous publions ici, parle du plurilinguisme rossellien comme d’une errance entre les langues, c’est qu’Amelia resta dans une certaine mesure étrangère à la fois au français, à l’anglais et à l’italien, comme nous l’indique le léger accent indéfinissable qu’elle garde dans les trois idiomes. Dans cette subtile imperfection, la langue poétique trouve son appui et sa raison, faisant du manque, de l’erreur et de l’errance les instruments d’une plus haute perfection. Quand elle commence à écrire, dans ce qui sera publié sous le titre Journal en trois langues3 Milano, Guanda, 1980, puis dans Le poesie, Milano, Garzanti, 1997.], le choix poétique d’Amelia Rosselli n’est pas encore fait, ou alors fonctionne comme un glissement permanent d’une langue à l’autre, proprement un « babèlement émotif »4 , in Le Poesie, op. cit., p. 163.], comme elle définira par la suite sa poésie.

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  1. Dans un entretien inédit accordé à P. Zacometti, « Ma la logica è il cibo degli artisti », Il Giomale di Napoli, 12 mai 1990.
  2. Dans La Furia dei venti contrari, ouvrage collectif sous la direction d’Andrea Cortellessa, Le Lettere, 2007, p. XII. La citation est extraite des conférences de 1959-1960 d’Ingeborg Bachmann, regroupées en Italie sous le titre Littérature comme utopie (Ingeborg Bachmann, Letteratura come utopia, Milano, Adelphi, 1993).
  3. A. Rosseli, Primi scritti, 1952-1963 [Premiers écrits, 1952-1963
  4. A. Rosseli, Variazioni belliche [Variations de guerre