25/07/2017
« Les lectures des libraires : Canne de Jean Toomer », par Adrien Duchene de la librairie Point virgule (Namur)
Jean Toomer fut avec Canne le fer de lance de l’Harlem Renaissance, mouvement de renouveau de la culture afro-américaine de l’entre-deux-guerres. Toomer disait que coulait en lui sept sangs différents, mais quand dans sa jeunesse on le qualifiait de métis, lui se revendiquait américain. C’est en se confrontant à la ségrégation raciale du Sud qu’il affirma son identité afro-américaine et vint alors Canne.
Publié en 1923 — la présente traduction française est celle de 1971 exclusivement destinée alors à l’Afrique francophone —, mélange de chants, poèmes, nouvelles, à la fois onirique et réaliste, cartographiant avec lyrisme le peuple afro de Géorgie ainsi que les quartiers noirs de Washington, Canne (comme le sucre de, et ses plantations du Sud) est assurément un chef-d’oeuvre de la littérature du XXe siècle, et c’est peu de le dire. Tout cela coule d’une belle source, on sent que chaque mot est naturellement pesé et soupesé, le mot juste placé au bon moment au bon endroit de sorte que cela nous entraîne dans un tourbillon de littérature. On peut le relire sans fin en découvrant à chaque lecture un nouveau trésor caché. Les mots manquent réellement pour dire la beauté de Canne et je mentirais par omission si je ne vous disais pas simplement que c’est absolument magnifique et puissant. Toomer s’immerge complètement dans chacun de ses personnages, dans chacun de ses poèmes. Il nous parle des Afro-Américains, de leur condition, esclavagisme aboli dans la loi, esclavagisme toujours bien présent dans les faits, ce qui malheureusement se vérifie encore en grande partie, notamment aux États-Unis.
La bonne littérature éclaire le lecteur d’une lumière nouvelle, la grande littérature s’insinue en chacun de nous, transcende son temps, et sa puissance se vérifie bien après sa publication. Canne est de cette trempe. Et si vous n’êtes pas encore convaincu, je terminerai cette bafouille par ce qu’en dit un éminent confrère : « Des mots comme chef-d’oeuvre ne suffisent pas. Je donne 90% de ce que j’ai lu dans ma vie pour ce seul livre. Et je suis sérieux. »