Correspondance
1924-1933
Établissement du texte, notes et postface de Billy Dranty.
Roger Gilbert-Lecomte (1907-1943) se savait définitivement ceci : « grouillement vivant de projets et de notes extraordinaires et splendides — mais un sépulchre de réalisations ». Quant à René Daumal (1908-1944) il avait très tôt réalisé cela : « je sais que je me tromperai toute ma vie. Ce n’est pas gai. » Mais le même écrivait, en août 1927, à un ami : « On soupçonne mal comme Roger et moi pouvons rire. (Je me souviens de la stupeur d’un qui croyait connaître Roger et qui ne comprenait pas lorsque, se retournant vers l’arrière de l’auto, nous voyait rire aux anges d’Auvergne. ) » Et celui qui, à ce moment-là, apprenait à découvrir les moult facettes de ses deux voyants-voyous d’amis, c’était Léon Pierre-Quint.
La correspondance croisée de René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte, les deux bâtisseurs et principales têtes chercheuses du Grand Jeu (1928-1932), est un document de premier ordre. Ces quelques 154 lettres échangées entre 1924 et 1933 — ici pour la première fois rassemblées, publiées dans leur intégralité et richement annotées — retracent au plus près l’évolution des deux poètes, en leur amitié vive jusqu’à la rupture. Automne 1927, Daumal écrit à Lecomte : « tu me ressembles si peu que ce qu’il y a de commun entre nous ne peut être que sublime. » Aussi, des premiers pas du Simplisme et ses expériences-limites à la création du groupe du Grand Jeu tenant tête au surréalisme glouton, c’est bien coude à coude et contre la Grosse Machine occidentale qu’ils vont traverser les steppes de grand’peur, la peur de la conscience claire, effroyablement claire comme du soleil.
Mieux qu’un roman épistolaire ou de formation, ce livre qui pourrait s’intituler Les années d’apprentissage de Roger Gilbert-Lecomte & René Daumal ne relève d’aucun genre littéraire, mais tous y sont pratiqués en les faisant sauter en éclats.