Moi, le Suprême
Né sous le signe du Capricorne, il aimait braquer le télescope sur les cieux équinoxiaux. Seul à sa naissance et à sa mort, le même cri à la bouche : L’indépendance ou la mort ! C’est l’histoire de José Gaspar de Francia dite, dictée et écrite par lui-même sous la plume d’Augusto Roa Bastos. Plume reçue de Raymond Roussel, trempée dans l’encre sanglante de la Révolution française, inspirée par les Lumières mais aussi par Montaigne, Pascal et Rousseau. Écrire sur le pouvoir, c’est écrire sur les pouvoirs de l’écriture, l’auteur doit reconnaître sa responsabilité comme faire connaître celle du dictateur. La dissection de ces mécanismes est un défi, ici vécu absolument et intimement, via un monologue à plusieurs voix du double personnage de ce roman fleuve en crue qui transporte le lecteur au coeur de l’Amérique latine et de notre conscience politique et humaine.
En plein boom de la littérature latino-américaine, en 1967, les écrivains Carlos Fuentes et Mario Vargas Llosa ont l’idée d’un livre sur l’Amérique latine comme une galerie de portraits imaginaires de ses dictateurs. Personnages tous incroyablement extravagants, ils posent d’énormes problèmes aux romanciers : comment rivaliser avec l’Histoire ? Comment créer des personnages plus riches, plus fous, plus imaginatifs que ceux offerts par l’Histoire ? Fuentes et Vargas Llosa invitent alors une douzaine d’auteurs latino-américains à rédiger chacun une nouvelle sur leur tyran national préféré. Le volume collectif se serait appelé Los Padres de las Patrias (« Les Pères des Patries ») mais ne vit pas le jour… Cependant trois de ces auteurs ont écrit leur propre roman à ce sujet : Alejo Carpentier, Le recours de la méthode ; Gabriel Garcia Marquez, L’automne du patriarche et Augusto Roa Bastos, Moi, le Suprême.
Cette œuvre magistrale de Roa Bastos se fonde sur l’histoire d’une seule vie, celle du despote paraguayen, José Gaspar de Francia, qui a dirigé son pays comme « dictateur perpétuel » de 1816 à sa mort. Riche tissage de textes (de témoignages et de fictions), ce livre est un portrait impressionnant, non seulement du Suprême, mais de toute une société coloniale en train d’apprendre à nager ou à se noyer au mieux dans les mers de l’indépendance nationale.