1/09/2023
Mémento, par Sean Rose
Par son cri primal, l’être qui vient au monde signale sa chute dans le temps. Il y a désormais un avant et un après. Si ses jours sont devant, le compte à rebours est déjà enclenché. « Être en vie, c’est faire l’expérience de la perte », rappelle Judith Schalansky dans Inventaire des choses perdues. Mais loin d’être un lamento pleurant la fuite des jours, son livre se présente comme un mémento poétique, une liste de ce qui a été, qui n’est plus et que l’écrivaine née en 1980 à Greifswald au nord-est de l’ Allemagne, en ex- RDA, a voulu inventorier pour illustrer « par sauts et gambades » sa vision du monde. Qu’il s’ agisse de Tuanaki, parmi les « îles Cook du Sud », qui sombra à cause d’un séisme et qu’ « on […] fit disparaître de toutes cartes » en 1875, ou d’un tableau de la ville natale de l’autrice par Caspar David Friedrich brûlé lors d’un incendie, Judith Schalansky dessine en creux son autoportrait d’écrivaine subtilement ironique. Anecdotes entourant ces œuvres disparues : les odes partiellement effacées de Sappho mais dont les bribes chantent malgré les silences et à jamais le désir féminin, le palais de la République est-allemand aujourd’hui démoli, un film de Murnau dont « rien ne prouve [à ce jour] qu’[il] a été projeté »… Schalansky nous invite, mine de rien, à penser la dialectique de la mémoire et de l’oubli. Penser et rêver. Assumer la perte, c’est assumer le souvenir- la reconstruction d’une mémoire trouée. Boucher les trous par l’imagination, c’est le début de la fiction.